« N’en déplaise à ses détracteurs, force est de constater que l’enseignement privé rend service à l’Éducation Nationale en la déchargeant de 25 % des enfants scolarisés en France ». Cette citation est tirée de la tribune publiée le 3 juin 2024 dans le Figaro par l’eurodéputé (LR) François-Xavier Bellamy, le sénateur (LR) Max Brisson et le député (LR) Alexandre Portier.
Ce dernier, réélu dans sa circonscription du Rhône après la dissolution du mois de juin, vient d’être nommé « ministre délégué chargé de la réussite scolaire et de l’enseignement professionnel », sous l’autorité de la nouvelle ministre de l’Éducation Nationale, Anne Genetet.
C’est donc un ardent défenseur de l’Enseignement Privé « indépendant ou sous contrat, comme de l’instruction en famille », qui se retrouve à la tête d’un curieux portefeuille mettant dans le même panier réussite scolaire « et » enseignement professionnel… Il semble pourtant que pour les politiques issues des mêmes partis que messieurs Barnier, Portier, et Mme Genetet, la conjonction de coordination entre les deux champs aurait dû être un « ou » plutôt qu’un « et »…
La tribune du Figaro a été rédigée en réponse au rapport du 2 avril 2024 des députés Paul Vannier (LFI) et Christophe Weissberg (Renaissance), qui s’intéresse au « financement public de l’enseignement privé sous contrat». Dans celui-ci, les deux parlementaires siégeant à la commission des affaires culturelles et de l’éducation concluent sur l’existence d’un « phénomène de concurrence, financé par l’État lui-même, au détriment de l’enseignement public ». Leur constat est très sévère et sans appel.
Sur la question des financements des établissements privés (qui scolarisent selon le rapport environ 17% des effectifs totaux, et non 25 !), les rédacteurs avouent « être dans l’impossibilité de mesurer précisément les dépenses publiques allouées aux établissements privés ». Sur un total d’environ 13 milliards d’euros pour 2021 (entre 13 et 15 milliards), le financement public est d’environ 10 milliards, contre 3 milliards pour les familles. Cela représente donc environ 75% du financement des établissements privés sous contrat. Ces dépenses sont partagées entre l’État (pour le salaire et la formation des enseignant·es) et les collectivités locales (pour le salaire des personnels non enseignants via le forfait externat). La difficulté pour estimer précisément ces coûts vient en partie des postes dans les rectorats et les collectivités dédiés au suivi du secteur privé.
Faisant état de la détection « d’irrégularités, voire de fraudes » dans certains établissements, les rapporteurs estiment que « cette situation ne peut pas durer », et préconisent une augmentation des contrôles et des audits. En effet, les contrôles budgétaires dans les établissements privés sont extrêmement rares. Le rapport signale même, non sans ironie, que « au rythme actuel, à savoir cinq contrôles par an pour les 7 500 établissements privés, la fréquence d’un contrôle est d’une fois tous les 1 500 ans »! C’est 10 fois plus fréquent dans le public.
Les collectivités locales financent par ailleurs les dépenses de fonctionnement des établissements sous contrat au titre de la loi Falloux. Le plafond légal subventionnable s’élève à 10%. Pour exemple, le Conseil Départemental du Jura envisage pour l’année 2024 de subventionner les 10 collèges privés sous contrat du département pour un montant de 300 000 €. Ces règles de la participation des collectivités aux frais de fonctionnement des établissements privés engendrent un surcoût pour les collectivités et contribuent à dégrader les conditions d’accueil des élèves dans les écoles, collèges et lycées publics.
Sur la question de la mixité sociale, les rapporteurs signalent que « A travers ce système du privé, l’État subventionne un processus de ségrégation scolaire». En effet, depuis 2005, la mixité sociale s’y dégrade. Le rapport débouche donc sur une recommandation importante: moduler les financements en fonction de la mixité sociale, en prenant en compte l’indice de positionnement social (IPS) dans le «modèle d’allocation des moyens». Quelques chiffres pour illustrer ces écarts: dans l’enseignement privé, 17 % des établissements ont un IPS faible (situation sociale défavorisée) et 40 % ont un IPS très fort (situation sociale très favorisée). Parmi les 10 % de collèges les plus favorisés de France, 65 % relèvent de l’enseignement privé, alors que parmi les 4 % de collèges les plus défavorisés de France, 4 % relèvent de l’enseignement privé. En son temps, Pap N’Diaye avait déjà mis en avant cette idée de conditionnement des financements, mais elle n’avait pas résisté aux oppositions du camp conservateur, inquiet de ne pas raviver une nouvelle « guerre scolaire».
Du côté des moyens d’enseignements, il est intéressant de constater des écarts sur le territoire entre les établissements privés sous contrat et les établissements publics. Ils sont mesurés par le ministère par le rapport entre le nombre d’heures d’enseignement allouées aux établissements et le nombre d’élèves (ratio H/E). Pour les collèges, il est important de signaler que l’académie de Besançon est une des 3 académies où l’écart entre le public et le privé est le plus important, et ce en faveur de l’enseignement privé.
Enfin, il faut noter que 96 % des établissements privés sous contrat en France relèvent de l’enseignement catholique. Découvrant les convictions religieuses de M. Portier, député de la République, qui n’hésite pas à publier sur X « son intention de prière à l’église Notre Dame de Fourvière », « placée sous le vœu de l’unité et de l’espérance », on pourrait penser que l’enseignement privé a de beaux jours et de beaux euros devant lui… Mais il est fort à parier que la nomination de ce gouvernement ultra-conservateur adoubé par l’extrême-droite ravivera l’unité du camp social et permettra de faire renaître l’espoir.
Jérôme Lenormand, le 26 septembre 2024
Lire à ce sujet également le communiqué du collectif pour l’école publique laïque publié le 9 octobre 2024